L’école de la guerre
Après un exil volontaire de sept ans, le narrateur rentre à Beyrouth où il retrouve sa famille et ses amis. Très vite, le passé le rattrape. Il se revoit enfant, puis adolescent, pendant la guerre qui a ravagé son pays. Sur un ton tantôt grave, tantôt ironique, il se souvient d’événements tragiques, ou comiques, atroces ou émouvants: l’esthétique des obus, les francs-tireurs, les grandes vacances, la ville-gruyère, l’amour à distance, les files d’attente, la coupe du monde de football, les prises d’otages, les abris, la radio…
L’école de la guerre, éd. Balland, 1999, 112 p.
Traduit en arabe aux éditions Al Massar.
Traduit en allemand. Articles (1, 2, 3). Commandes.
Traduit en roumain.
Traduit en arménien. Pour commander ce livre.
Traduit en italien aux Editions Il Leone Verde. Pour commander ce livre
Traduit en anglais paru chez Telegram sous le titre: “The School of War” dans une traduction de Laurie Wilson et avec une présentation de William Boyd. pour plus d’infos, suivre ce lien.
Traduit en suédois, “Krigets skola“, 2009.
Disponible en poche à la Table ronde, collection La Petite Vermillon, avec une préface de Richard Millet.
"Une foule d'images bien familières à tous ceux qui ont été prisonniers d'une folie si peu explicable qu'Alexandre Najjar fait crépiter à travers les jets d'un stylo au lyrisme simple et doux. L'auteur a le talent ici non de simplifier les choses, mais de les rendre d'une limpidité incroyable, et c'est déjà un talent indéniable que de parler de la guerre sans cris de haine, vociférations, imprécations ou hystérie… Par petits chapitres clairs et bien écrits, évoquant avec dextérité et sans emphase inutile, situations et personnages, Alexandre Najjar restitue (souvent avec une pointe de drôlerie), à travers la trame d'une histoire bien tenue, toute l'atmosphère de ce qui a fait, bien tristement, il est vrai, l'essence de la vie d'un pays qui a brûlé durant de longues années à feu et à sang... Avec finesse, tact, un sens aigu et délicat de l'observation, une bonne chose d'humour, Alexandre Najjar évoque ces jours sombres et terribles avec infiniment de savoir-faire, sur un ton d'une souveraine élégance, sans jamais tomber dans le mélodramatique ou l'outrancier. Et pourtant rien n'est omis de ces horreurs insoutenables et de ces interminables vexations au quotidien d'une population harassée et exsangue… Il se dégage de ces pages, où dominent la candeur et l'innocence de l'enfance, une certaine leçon de vie, un souffle tonique et l'on serait tenté de dire, une certaine sagesse teintée d'un humour faussement innocent."
"De sa fine écriture, Alexandre Najjar restitue images, séquences et émotions du passé avec le ton juste, le terme exact, la phrase transparente."
"Récit à la première personne d'un libanais, où se lit tout ce que la guerre du Liban avait d'insoutenable"
"Un récit exceptionnel!"
"Ce petit mais excellent livre est un reportage intime sur une enfance et une adolescence vécues sous les bombes à Beyrouth... Plus que les journalistes et leur goût du pittoresque sanglant, ce livre nous fait comprendre les malheurs de la guerre"
"Le ton, tour à tour ironique, tendre et terrible mêle poésie et réalisme... Le récit éclate la réalité en une série de paraboles qui tendent vers la même leçon: la nécessité de "détruire les murs pour construire les ponts"... Et de fait illustrer le paradoxe ultime de la guerre: en même temps source d'atrocités et école de vie"
"Tantôt grave, tantôt ironique, il raconte la vie "ordinaire" dans une ville ordinaire, entremêlant pour mieux y résister épisodes émouvants, événements insoutenables, moments suspendus."
"Alexandre Najjar apporte un témoignage vibrant sur toute une génération, la sienne, celle de la guerre(...) Cet ouvrage redit, sans aigreur aucune, que personne ne sort indemne d'une guerre."
"L'auteur revient dans son pays qu'il avait quitté depuis sept ans. Ce retour l'amène à évoquer les jours de la guerre qu'il avait vécus enfant et adolescent. En une vingtaine de chapitres courts, écrits avec simplicité et réalisme, il décrit cette atmosphère où la teneur se mêlait soudainement aux moments les plus normaux de a vie familiale et l'angoisse à l'insouciance. On est sensible à ce style direct qui fait revivre le drame libanais"
"A lawyer and literary critic as well as a novelist, he (Alexandre Najjar) grew up in Lebanon during that country’s protracted civil war, and the broken-glass memories of those days led him to write a collection of brief essays called The School of War... He had written the book as revenge for those whose childhood had been lost to the folly and violence of war.... The riveting words of Mr. Najjar, the beauty and the violence of the imagery take breath away".
"Heartrending and at the same time heartwarming. The war in Beirut may have stolen Najjar's childhood, but it did nothing to cloud his vision or silence his singular voice..."
"The School of War powerfully recalls growing up in war-ravaged Beirut"
"Alexandre Najjar nous offre des moments délicats et inoubliables".
"Un récit poignant."
"Le très beau récit d'une enfance pendant la guerre du Liban."
"A marvellously affecting memoir of the war in Lebanon: perfectly pitched and intensely evocative, and all the more powerful from being seen through the eyes of a child."
"Jadis, Alexandre Najjar a «fréquenté la guerre comme on fréquente une femme de mauvaise vie, bu le calice jusqu'à la lie». Dans le récit qu'il a consacré à cette période agitée, il décrit parfaitement cet «insoutenable cauchemar», cette «ignoble loterie» qui dura trop longtemps. Né en 1967, Najjar avait huit ans quand éclata le conflit au Liban, vingt-trois quand le canon s'est enfin tu. Dans ce retour au pays natal, il se souvient d'une mère qui le rassurait en lui parlant de feux d'artifice, travestissant la vérité pour «berner» sa peur. Sans jamais s'attarder, il évoque un franc-tireur auquel on tranche la gorge sous ses yeux, des hommes et des femmes s'abritant en hâte dans un cinéma, des voitures piégées, des leçons apprises à la bougie. Alexandre Najjar fait revivre avec beaucoup de verve et d'humour des années où il passait son temps à le perdre, où l'arak transformait la tristesse en gaieté et le faisait chanter..."
Esthétique de l'obus
- Ahlan wa sablan!
J'embrasse tante Malaké qui me souhaite la bienvenue, et pénètre au salon, dans une forte odeur de tabac et de miel.
- Tu fumes toujours le narguilé?
- C'est mon passe-temps favori, répond-elle en haussant les épaules.
Rien n'a changé dans cette maison: le mobilier un peu vieillot, le tableau représentant la cantatrice Oum Koulthoum, le portrait en noir et blanc de l'oncle Jamil, et les poils du chat sur la moquette bleue. Sur une table basse, près du bahut, un bouquet de roses blanches dans un récipient cylindrique.
- Qu'est-ce que c'est?
- Une douille d'obus. C'est décoratif, tu ne trouves pas?
«Décoratif»… Ce mot me ramène quinze ans en arrière. Le premier obus, comme un baptême.
Ce premier obus était couché au pied d'un canon de 240 mm installé dans une cour d'école à Achrafieh. Autour de ce canon se trouvaient en permanence trois miliciens qui, un jour de trêve, m'invitèrent à partager leur casse-croûte. Jusque-là, j'avais cru les obus invisibles: je les voyais exploser au loin dans un geyser de fumée, auréoler d'un halo éphémère les villages bombardés, incendier les maisons et les forêts de pins; j'entendais leur fracas lorsqu'ils s'abattaient sur mon quartier, ou leur sifflement lorsqu'ils fendaient l'air au-dessus de la maison… Voir enfin un obus, le caresser, fut pour moi une révélation: avec sa forme oblongue à l'esthétique irréprochable, ses courbes généreuses, son ogive qui évoque les contours d'un sein, son élégante couleur bleu-gris, et la brillance de son corps en acier, poli comme une pièce de marbre, un obus est beau, d'une beauté parfaite. Au toucher, il est froid et dur; qui le croirait capable de voler en éclats? Etrangement, il procure une sensation de sécurité. Qui donc a imaginé cet engin qui conjugue si bien obésité et beauté? Est-ce pour montrer la précarité des belles choses ou par perfectionnisme que son créateur a mis tant de soin à peaufiner ce projectile qui, au bout du compte, se désintègre en même temps qu'il sème la terreur? J'en déduisis que cet artiste inconnu était, avec le franc-tireur, de ceux qui mettent leur art au service de la Mort et qui cherchent la perfection dans le meurtre même.
La deuxième fois que je vis un obus, je ressentis une inquiétude que je n'avais pas connue la première fois: un obus s'était abattu pendant la nuit à quelques mètres de chez moi. Par miracle, il s'était fiché dans la chaussée sans exploser. A l'aube, le boulanger du coin le découvrit et ameuta le quartier tout entier:
- Azifé ya chabéb! Azifé ma nfajarét!
Je fus réveillé par ses cris qui signifiaient: «Un obus, les gars, un obus qui n'a pas éclaté!» et, le plus naturellement du monde, je descendis dans la rue pour assister au spectacle. A une distance respectable de l'objet, un cercle de badauds s'était formé. Je m'y fondis: le projectile s'était enfoncé dans le bitume, comme un javelot dans le sable, et n'offrait au regard que son culot.
- S'il avait éclaté, aucune maison n'aurait été épargnée! S'exclama le boulanger.
- Plus bas! murmura son voisin en lui donnant un coup de coude. Tu risques de le ranimer!
- Ça ressemble à un suppositoire! Observa un gamin.
Le curé accourut, un encensoir à la main.
- C'est la Providence!
- C'est la Providence, reprit la foule.
Il sortit de la poche de sa soutane une image représentant Notre-Dame du Perpétuel Secours. Il s'approcha avec prudence du projectile, la posa sur le sol, revint rapidement sur ses pas. Une ménagère s'avança à son tour en brandissant un bouquet de marguerites. Elle fleurit l'endroit et regagna sa place à reculons.
- prions! Proposa le curé.
L'assistance se signa, puis récita une prière:
«Souvenez-vous, ô Vierge Mère de Dieu, quand vous êtes devant le Seigneur, d'intercéder en notre faveur auprès de lui et de détourner de nous sa colère.»
La cérémonie se serait prolongée, n'était l'arrivée de l'Adjudant, saluée par des applaudissements. L'Adjudant était le démineur officiel de l'armée. Très sollicité, il répondait aux appels de tous les belligérants-quelles que soient leurs appartenances ou leurs convictions – avec la même abnégation qu'un médecin de campagne. Je ne l'avais jamais vu ailleurs que dans des reportages télévisés relatant ses exploits et, je le confesse, je priais le Très-Haut pour que l'occasion de le voir pour de vrai ne se présentât jamais.
Arrivé à deux pas du projectile, l'Adjudant leva la main pour réclamer le silence. Et le silence se fit. Il contourna l'obus quatre ou cinq fois, puis mit un genou à terre, ouvrit une petite mallette et sortit son attirail.
- Eloignez-vous de trente mètres, ordonna-t-il.
La foule s'éloigna, à reculons, comme un seul homme.
Caché derrière un poteau électrique, je ne suivis pas le déroulement de l'opération. Pendant que ses mains tripotaient l'obus, je ne pouvais m'empêcher de songer à la témérité de cet être qui, chaque jour, jouait avec la Mort. Comment faisait-il pour manipuler cet engin capable de lui exploser à la figure? Qu'avait-il à la place du cœur pour ne pas craindre qu'un tremblement de ses doigts fît tout sauter?
L'Adjudant finit par se relever. Il s'essuya les mains au milieu d'un silence de cathédrale. Il ramassa ses effets, salua d'un hochement de tête l'image de la Vierge posée à côté de l'obus, puis lâcha, d'un ton satisfait:
- C'est fini.
Des hourras le saluèrent. Les femmes sortirent aux balcons et l'aspergèrent de riz, tandis que les curieux s'approchaient pour le toucher. Les habitants du quartier oublièrent tout-guerre, morts, pénurie- pour acclamer le héros. Lorsqu'il fut près de moi, une femme d'un certain âge le serra contre sa poitrine et déposa sur son front un baiser sonore.
- Nous admirons tous votre courage! s'écria-t-elle avec enthousiasme.
L'Adjudant ne rougit pas. Il s'essuya le front et répondit, imperturbable:
- Ce que vous appelez courage, madame, je l'appelle savoir.