Le crapaud
N’ul n’ignore que Flaubert et Baudelaire ont été poursuivis en justice à cause de leurs oeuvres. Ce qu’ont sait moins, en revanche, c’est que les deux grands écrivains ont été poursuivis par le même procureur, un certain Ernest Pinard, devenu depuis le symbole même de l’obscurantisme et de l’acharnement de la justice.
Obsédé par l’ordre et la morale, ce M. Pinard demande la condamnation de Gustave Flaubert pour son roman Madame Bovary, et entame des poursuites contre Charles Baudelaire, sous prétexte que les Fleurs du Mal est un livre contraire aux bonnes moeurs. Pour récompenser son zèle, l’empereur Napoléon III le nomme ministre de l’Intérieur. Il s’agite alors de plus belle: il interdit qu’on érige une statue à Voltaire qu’il juge “subversif”, interdit de nombreux journaux, traque les journalistes qui le critiquent…
Dans le même temps, le spectateur découvre Mme Sabatier, une égérie qui tenait à Paris un fameux salon littéraire réunissant Baudelaire, Flaubert, Théophile Gautier, et bien d’autres.
Eprise de liberté, cette femme, qui inspira à Baudelaire ses plus beaux poèmes, est tout le contraire de Pinard. Elle va tenter, tant bien que mal, de protéger les écrivains que le magistrat persécute…
Cette pièce raconte l’itinéraire de ce Monsieur Pinard que Baudelaire qualifiait de “redoutable” et que Flaubert appelait “mon ennemi”. Elle offre une réflexion sur le thème de la justice à travers un face-à-face passionnant entre un juge et une femme libre. Qui gagnera la partie? Pinard sortira-t-il indemne de cette confrontation ?
Le Crapaud, éd. FMA, 2001.
Préface
Le XXe siècle s'est achevé sur une série de cataclysmes, mais aussi sur des affaires qui ont défrayé la chronique judicaire, tant en France qu'en Italie, aux Etats-Unis (Kenneth Starr et l'affaire Lewinsky), en Allemagne, au Liban ou ailleurs. Ces affaires ont mis en lumière l'ampleur de la corruption à tous les échelons du pouvoir, mais aussi les dysfonctionnements de nos systèmes judiciaires, les lacunes de nos codes de procédure pénale, et les dérapages de certains magistrats habités par "la furie répressive" et si peu respectueux de la présomption d'innocence et des droits sacrés de la défense. Elles ont mis sur le devant de la scène des procureurs et des juges d'instruction plus soucieux de faire parler d'eux que de la bonne administration de la justice. Dans certains cas où les dossiers étaient ouverts ou classés selon la couleur politique du suspect, ces affaires ont donné raison à Stephen Hecquet qui définit la justice comme "une forme endimanchée de la vengeance".
Cette pièce, je la dédie à tous ceux qui ont été confrontés à la "décadence effroyable de la justice". Enfant, je croyais que Thémis était une sainte, qu'elle ressemblait à Jeanne d'Arc. Depusi douze ans que j'exerce la profession d'avocat, depuis vingt ans que je suis de près les chroniques judiciaires dans le monde, je me rends compte avec amertume que Thémis ressemble davantage à une courtisane qu'à la pucelle d'Orléans. Est-ce nouveau? les personnages et événements dont je me suis librement inspiré pour écrire cette pièce prouvent bien que rien n'a changé depuis le XIXe siècle, depuis l'époque où un accusateur nommé Pierre-Ernest Pinard (1822-1909) terrorisait les écrivains et voyait son zèle récompensé par un protefeuille de ministre de l'Intérieur...
Il faut espérer que le XXIe siècle, qui connaêtra sans doute des progrès techonologiques fulgurants, pourra aussi donner aux avocats, aux justiciables et aux bons magistrats - il en est d'excellents - une Justice libérée de son bâillon, délivrée de toutes les sujétions, soucieuse d'égalité et de dignité humaine!