Athina
Comment inventer sa liberté quand on est une femme dans la Crête du XIXe siècle? Et jusqu’où la passion peut-elle accompagner la volonté de vivre? Tel est le magnifique défi d’Athina. A quinze ans, cette jeune fille audacieuse échappe à l’emprise de sa famille et s’engage dans la résistance contre l’occupant turc. Toute l'”île du courage” s’embrase. Athina porte des armes et des messages, se cache à Chios, sans se douter que les Turcs vont y perpétrer un odieux massacre…
C’est la tragédie du Sud que vit cette jeune héroïne, entre soleil et mort. Blessée par ce qu’elle a vu, la haine au coeur, Athina prend part à la révolution grecque. Elle croise Lord Byron, qui a embrassé la cause des insurgés, le colonel Fabvier, Flaubert et Lamartine qui découvrent l’Orient. Elle tombe amoureuse d’un soldat de Napoléon…
Athina verra-t-elle enfin son pays libre? Pourra-t-elle vivre et y aimer en paix?
Athina, éd. Grasset, 2000.
Traduit en grec par les Editions Livani.
Traduit en arabe par l’Université du Saint-Esprit de Kaslik (département de traduction).
"Comme à l'accoutumée, Alexandre Najjar excelle dans l'art de mêler la fiction à la réalité... Son style est limpide; son récit passionnant."
"Un style solide, élégant... un récit réaliste et émouvant."
"Le livre séduit à plus d'un titre, et il se lit presque d'une seule traite, bien que l'on ait toujours envie de s'arrêter à chaque page et de savourer les images, les détails et la musique des phrases..."
"Cette héroïne est comme un symbole de la Grèce."
"Comme Amin Maalouf, Alexandre Najjar nous donne des leçons de géographie méditerranéenne, avec les événements significatifs qui s'y sont déroulés."
"Ecrit dans une langue simple, méticuleuse et lyrique à la fois, Athina reprend les thèmes favoris du romancier-avocat: la lutte pour une idée, la défense d'une juste cause, l'appel de la liberté."
"Considéré comme l'un des plus grands espoirs de la littérature francophone, Alexandre Najjar dresse le portrait d'une femme courageuse, balayée par les tempêtes de l'histoire..."
"Alexandre Najjar fait vibrer son ardente et forcément belle et courageuse héroïne au rythme de passions intenses... Quand l'amour épouse la révolte, la vie n'est jamais loin de la mort."
Le pope était un érudit ; il avait beaucoup voyagé, vécu en Russie et séjourné à Rome, à Paris et à Londres. Deux années durant, il s'employa à m'éduquer : petit à petit, la sauvage que j'étais devint un être cultivé, avide de connaissance. Il m'apprit à lire et à écrire le grec, mais aussi le français et l'anglais. A l'époque, en France, en Angleterre, en Amérique, des intellectuels "philhellènes" se mobilisaient en faveur de la cause grecque et appelaient à la lutte contre l'occupant ottoman : Etait-ce pour leur rendre hommage ou parce que, mû par je ne sais quelle intuition dont les hommes de foi ont le secret, il n'ignorait pas que le destin me mettrait un jour sur leur chemin, qu'il m'apprit ces deux langues ? Je ne saurais le dire. Ce que je sais, c'est que le français m'envoûta : cette langue avait une saveur, une saveur semblable à celle d'un fruit mûr dont le jus, sucré et parfumé, gicle dans la bouche à chaque fois qu'on y mord. Je découvris dans ses mots une force qui tend les phrases comme un arc, leur donne une consistance réelle, un relief, sans pour autant en altérer la pureté, un peu à la manière d'une source qui jaillit d'une roche, puissante et limpide à la fois. Le pope me donnait à lire des textes si beaux que les larmes m'en montaient aux yeux. Je découvris la violence et la tendresse, la gravité et la dérision, la rigueur et la désinvolture, dans cette langue qui respire la liberté.
"Résister" : c'est grâce au père Chrysostomos que j'appris la signification de ce mot. Le pope profitait des pauses entre deux séances de lecture pour évoquer les épisodes glorieux de la résistance crétoise. Il me raconta comment, en 961, le général Phokas libéra l'île de la domination arabe ; comment, pendant plus de quatre siècles, les révoltes des Crétois ébranlèrent la dictature de la République de Venise ; et comment, en 1770, sous l'impulsion du Sfakiote Daskaloyannis, l'île se souleva -mais sans succès - contre l'occupant ottoman.
- Que signifie "se révolter" ? lui demandai-je un jour.
Ma question ne le surprit pas. Il lissa longuement sa barbe étalée sur sa poitrine, puis déclara d'une voix grave :
- La révolte, c'est le sentiment le plus grand qui existe. La révolte, c'est comme quand le vent souffle et que rien ne l'arrête ; c'est comme les vagues lorsqu'elles se déchaînent et qu'elles fouettent les rochers...
- Qu'est-ce qui la provoque, papas ?
- Elle naît de l'injustice. L'injustice est pareille à l'eau qu'on chauffe dans une marmite. Quand elle bout trop longtemps, elle déborde : c'est cela la révolte.
- Ce que je n'arrive pas à m'imaginer, c'est ce qu'on ressent vraiment à ce moment-là... Est-ce quelque chose de physique, un peu comme la faim ou la soif ?
- Oui, répondit-il. On éprouve une sorte d'illumination, d'extase. On ressent le besoin de renverser l'ordre établi. On a la conviction de pouvoir changer les choses et, aussi, l'impression de ne pas avoir tort parce qu'on est dans le camp de Dieu.
- Vous voulez dire que Dieu est toujours dans le camp des révoltés ?
- Oui, affirma le pope en hochant la tête. Dieu prend toujours le parti de la Liberté.
Ces paroles me troublèrent : non que je fusse choquée de voir un pope prêcher la révolution, mais elles confortèrent chez moi le désir de me placer toujours dans le camp de la Liberté, puisque Dieu l'avait choisi, et l'envie de devenir plus tard une "révoltée ".