La honte du survivant
La honte du survivant, suivi de Le ciel n’est jamais l’ennemi, a été élu par les libraires Livre de l’année 1989 au Liban (rapport STAT 89). Il est l’un des rares témoignages littéraires disponibles sur la guerre du Liban. Le premier récit évoque la rencontre, dans un camp militaire, d’un combattant libanais et d’un journaliste français. Une solide amitié va unir ces deux hommes avant que le destin ne les sépare. A travers eux, deux mondes, deux philosophies, mais une même foi…
Le second raconte la tragédie d’un jeune universitaire dont la vie a basculé le jour où il a été touché par les éclats d’un “obus perdu”. Récit poignant, Le ciel n’est jamais l’ennemi dénonce l’indifférence du monde: “Nos ennemis, les vrais, sont les sourds“.
La honte du survivant, Ed. Naaman (2e éd. 1991), 72 p., 25 FF.
"Le survivant, quand il parle votre langage de sensibilité et d'extrême pudeur, lorsqu'il projette une lumière aussi discrète que précise sur les événements les plus dramatiques, ce survivant n'a pas à avoir honte! Mais en choisissant votre titre, vous êtes allé encore plus loin dans l'humilité et dans la solidarité avec vos amis, proches ou lointains, morts au combat, ou morts des combats. Freddo, Charlie sont désormais nos frères. Vous savez combien ma femme et moi restons à l'écoute- heure après heure- de votre, de notre, cher Liban: c'est vous dire que nous avons été très touchés par La honte du survivant que nous allons conserver dans notre bibliothèque de cœur..."
"Il y a un livre qu'on trouve partout dans Beyrouth: La honte du survivant d'Alexandre Najjar. Ce n'est pas tout à fait un livre- plutôt une plaquette d'une cinquantaine de pages, serrées et denses comme un cri. On le trouve à l'hôtel Alexandre, sur les tables de l'Aquarium à Jounieh, dans les restaurants, les librairies, au Centre de la presse de Jdeidé... Il commence dans Beyrouth en ruine, dans un baraquement tenu par des miliciens, sur la ligne de front... et se termine par cette réflexion, désabusée: "Tu as toujours peur?" "On vient de débrancher le générateur. L'abri est plongé dans l'obscurité la plus totale. En pyjama, Marc vient s'asseoir à mes côtés. Il me secoue: "- Tu as toujours peur? "- Oui. "- Peur de mourir? "- Non. Peur de vivre. "Peur de vivre dans ce monde sans dignité". Le livre d'Alexandre Najjar a été écrit en août 1989, à Beyrouth, pendant les bombardements. Il est le témoignage d'une génération au combat, qui cherche une réponse, une hauteur à sa vie. Une profession de foi, debout au milieu des ruines: "Exister c'est être conséquent avec soi-même. Etre honnête avec sa conscience et ne pas tirer son épingle du jeu, sauver sa mise quand on a le plus besoin de nous. Les défaitistes, les dégonflés, sont des esclaves du destin; ils ne vivent pas, ils durent. Exister, c'est assumer, ce n'est ni démissionner, ni se dérober..."
"J'ai lu La honte du survivant avec émotion, mais aussi, pourquoi le nier, avec amertume. De vos lignes se dégage une tristesse infinie qui m'a accablé. Ce n'est pas seulement parce que les drames où sont entraînés Freddo et Charlie nous émeuvent profondément. C'est aussi parce qu'ils nous adressent un terrible message et un reproche, qui, pour être exprimé avec pudeur, n'en est pas moins cruel, à nous tous qui vivons et survivons dans l'insouciance, pendant que votre patrie poursuit sa tragédie. Est-ce le même pays, celui que vous décrivez et celui où j'ai vécu, il y a plus de vingt ans, alors si plein de vitalité, de prospérité, de joie d'exister? Mais peut-être la possibilité, pour une plume libanaise, d'exprimer la désolation qui frappe les habitants de ce pays et de montrer le courage avec lequel ils continuent à vivre, est-il aussi l'un des signes que l'âme du Liban que nous avons connue, n'a pas disparu et ne disparaîtra jamais? Je ne prétends pas que ce soit une consolation ou une excuse, mais c'est tout de même un motif de foi et d'espoir..."
"La honte du survivant a bousculé la platitude et l'apathie du paysage littéraire libanais. Ce petit livre est un événement. Loin de sombrer dans la banalité qui caractérise désormais notre tragédie, ce témoignage à travers deux récits brosse un tableau implacable du Liban".
"Il se dégage de ces lignes une force vraie qui ira loin".
"Un récit fort et très émouvant".
"Ce jeune combattant est assurément un grand écrivain. Je m'en félicite moins pour lui que pour nous... C'est avec des Alexandre Najjar que nous nous sauverons".
"Par son stylo, Alexandre Najjar appartient à la légion de ceux qui travaillent à empêcher l'engloutissement spirituel et mental du Liban. Cette lutte mérite attention et respect, comme celle des combattants armés qui s'opposent à la disparition politique, à l'"Etatcide" de la République au cèdre".
"Des nouvelles inspirées par la guerre du Liban et mettant en valeur, grâce à une écriture d'une grande limpidité, les paradoxes psychologiques d'un conflit absurde au sens camusien du terme".
"La honte du survivant... ce fut bien notre sentiment à tous, écrivains de la Résistance, en 1944, quand nous avons compté nos morts (Desnos, Nizan, Max Jacob, Saint-Pol Roux... et combien d'autres de moindre notoriété) tous fauchés à l'âge où l'œuvre va s'épanouir; et que nous nous sommes retrouvés entre nous, libres et bien vivants, avec toute notre carrière devant nous. Loin de se féliciter alors de "s'en être bien tirés", on mesurait au contraire l'action plus périlleuse qu'ils avaient su et voulu affronter, et pas nous."
" - De quel bord tu es? dis-je tout à coup en m'en voulant de ne pas avoir posé cette question plus tôt.
- Pour le Liban, répondit-il sans hésiter.
- Quel Liban?
- Le Liban avec un "L" majuscule, murmura-t-il sans sourciller avant de demander: Pourquoi, vous avez combien de Libans, vous autres? "
" Tu as toujours peur?"
On vient de débrancher le générateur. L'abri est plongé dans l'obscurité la plus totale. En pyjama, Marc vient s'asseoir à mes côtés. Il me secoue:
- Tu as toujours peur?
- Oui.
- Peur de mourir?
- Non. Peur de vivre.
Peur de vivre dans ce monde sans dignité ".
" Un coin de l'abri.
Quarante personnes terrés, là.
D'instinct, on pense aux Misérables de Victor Hugo: la suite reste à écrire.
Un vieillard crache. Un nouveau né chiale.
La puanteur. Partout.
Assis près du néon qui illumine cette pièce au second sous-sol de l'immeuble que j'habite, je tremble. Bêtement, je tends mes mains glacées vers la lumière, comme pour me réchauffer.
Marc vient me trouver. Mi-moqueur, mi-défiant, il me demande:
- Tu as peur?
- Oui. J'ai peur.
J'ai l'air d'un pestiféré. J'ai l'air d'appartenir à une autre race.
- Si j'ai bonne mémoire, tu n'avais pas peur. C'est nouveau.
Il parle de la peur comme d'un virus que j'aurais contracté.
- La peur, cela s'apprend. Un peu comme la catéchisme."